En nutrition, on assiste fréquemment à l’émergence de rumeurs. Si certaines d’entre elles se discréditent assez facilement (« le whisky débouche les artères » mais bien sûr) d’autres ont la vie plus dure. Aujourd’hui nous allons parler de la plus coriace de toutes, qui persiste depuis plus d’un siècle : les épinards contiennent une teneur en fer particulièrement élevée.
Une rumeur dans la rumeur :
Pour beaucoup, l’origine de ce mythe est une erreur scientifique : dans les années 1870, un chimiste allemand aurait calculé la quantité de fer présent dans les végétaux ; dont l’épinard ; et aurait fait une faute en écrivant son rapport : il aurait indiqué que la teneur en fer des épinards pour 100g est de 35mg et non 3.5mg. Un simple oubli de virgule aux énormes conséquences.
Cette théorie est avancée par le British Medical Journal en 1981. C’est le travail du docteur Emil von Wolff qui serait effectivement en cause, chimiste ayant vécu de 1818 à 1896 et qui publie en 1870 « Aschen-Analysen von Land – und forstwitschaftlichen Producten ».
Un problème énorme met cependant en doute cette théorie : nous ne disposons plus des éditions originales du livre. Comment alors la communauté scientifique a-t-elle pu constater l’absence d’une virgule ?
Le British Medical Journal s’explique en disant que cette théorie est basée sur le travail du professeur Bender (1972) qui s’inspirerait lui-même du professeur Schupan. Un nouveau souci apparait : on ne trouve dans la littérature aucune trace de l’existence du professeur Schupan ou de son travail.
Il est hautement probable que le professeur Bender ait créé cette affirmation ex nihilo.
Rendre justice au docteur Wolff :
Un autre point semble confirmer l’erreur de la communauté scientifique : en 1880, le docteur Wolff republie son travail en ajoutant une seconde partie « Aschen-Analysen von Land – und forstwitschaftlichen Producten – Zwiter Theil ». Dans cette seconde partie, on trouve page 128 une valeur de 3.35mg d’oxyde de fer pour 100g d’épinard (à laquelle il est nécessaire de soustraire la masse molaire de l’oxygène : -30%) soit 2.345mg de fer, ce qui est exceptionnellement proche de nos données actuelles (3.61mg pour 100g selon la table CIQUAL, rappelons que le docteur Wolff travaille avec un matériel des années 1880).
L’hypothèse qui est désormais avancée (la plus probable) est que le chimiste avait publié, dans la première édition de l’ouvrage, les résultats pour 100g d’épinard séchés et non 100g d’épinards crus auquel cas le doctor Wolff a toujours été dans le juste, la communauté scientifique interprète juste mal ses résultats depuis plus d’un siècle.
Popeye, la consécration :
La prise en racine de cette rumeur a été largement facilitée par l’apparition du personnage de Popeye, qui mange des épinards pour devenir plus fort et défaire son Némésis. Il est très largement pensé que le personnage créé en 1929 tient sa force de la fausse haute teneur en fer des épinards.
Ironie du sort, c’est encore une erreur :
Comme il est expliqué dans le comics, si Popeye consomme des épinards, c’est pour leur haute teneur en vitamine A, non pas pour le fer qu’ils contiennent.
Même si les épinards ne sont pas une « super-food » il est toujours intéressant d’en consommer :
Les épinards sont riches en fibres, vitamine C et E, provitamine A et contiennent une importante quantité de magnésium. Ils apportent par ailleurs peu de calories.
Ils s’inscrivent tout à fait dans une alimentation équilibrée.